lundi 24 septembre 2012

Chronique d'un redoublement : 47. Une issue attendue et à portée d'oreilles indiscrètes

SUITE 46

J'étais rentrée à la maison, la peur au ventre, avec les mots de Maman qui tournaient en boucle dans ma tête : "Nous allons régler cela à la maison... Tu peux préparer tes fesses, ma grande..."
De doute, personne n'en avait plus, et la jeune vendeuse de la boulangerie connaissait même le programme, annoncé clairement par une mère qui n'avait pas l'air de plaisanter : "Ma chère fille réfléchira peut-être à deux fois avant d'embêter sa soeur, une fois que je lui aurai donné la bonne fessée qu'elle mérite..."
Alors, inutile de préciser qu'une fois la porte refermée, ça filait droit chez les Spaak. Même côté des petites soeurs, si l'oeil pétillait en imaginant que l'ainée allait passer un sale quart d'heure, les consignes maternelles étaient appliquées à la lettre.
Nulle ne voulait risquer de faire partie de la distribution imminente...
Aline ou Diane aurait certainement, en de telles circonstances, montré leur nervosité, chigné en implorant le pardon, pleurniché avant l'heure, et Maman n'aurait pas tardé à régler ses comptes.
Moi, dans l'attente d'une fessée, je cherchais plutôt à jouer à la fille invisible, à ne pas me faire remarquer, à rentrer dans le moule, à ne pas faire de vague.
La fessée à donner à Christine devenait donc l'une des tâches maternelles à accomplir dans la soirée, certainement aussi "obligatoire" dans la pensée de Maman que de nous faire diner, que de vérifier les devoirs et de coucher son monde. Mais, comme elle n'agissait plus sur le coup d'une colère ponctuelle, et avait annoncé la sanction en en différant l'exécution, l'ordre des choses à faire dépendait de son bon vouloir. Et mon attitude consistant à préférer "gagner du temps", amenait logiquement Maman à vouloir se débarrasser des choses à faire dans un ordre allant de la plus petite à la plus grande, comme c'est le cas habituellement dans les familles où les petits sont couchés avant les grands.

A posteriori, je comprends que je ne gagnais pas au change, car ma fessée hantait le climat familial et illustrait les moindres menaces au cours de la soirée. Car, aussi, cela ne faisait que rallonger ma période d'angoisse, que prolonger le temps où me revenaient des images, des peurs, des sensations anticipatrices. Car, bien sûr, aussi, n'étant pas donnée dans la hâte au milieu d'une liste de tâches à accomplir, ma fessée devenait le point d'orgue de la soirée maternelle. Et je pense que Maman devait avoir alors une réflexion du style : "Bon, le diner est pris, la cuisine rangée, les petites au lit, ouf, voilà déjà de bonnes choses de faites. Reste encore à m'occuper de Christine. Pas question qu'elle y échappe..."
Mais, dans une maison devenue silencieuse, l'affaire n'était pas à la minute. Maman pouvait souffler un instant, se re-motiver, avant de passer aux choses sérieuses... 

C'est en tout cas dans cet ordre que se déroulèrent les événements de cette soirée. Maman m'avait laissée mijoter dans ma chambre jusqu'au dîner, et j'avais vaguement tenté de réviser mes leçons, pour me donner bonne conscience, pour pouvoir montrer une image studieuse au moment où elle viendrait me retrouver.

Mais, elle n'avait pas franchi le seuil de ma porte restée close durant un temps dont chaque minute me semblait durer dix fois plus. Ce qui m'impressionnait était d'ailleurs un calme inhabituel, à la place des éclats de voix fréquents en pareil moment de la journée. Maman n'avait pas besoin d'élever la voix, pour obtenir ce qu'elle voulait, du moins n'entendai-je rien qui pouvait ressembler à un rappel à l'ordre. Et cela devait certainement conforter notre mère dans l'idée que sa méthode était la bonne, et donc qu'il ne fallait sûrement pas en changer, ni revenir sur ce qui était dit...

Quand Maman nous appela pour passer à table, les petites dévalèrent l'escalier sans doute en appétit, ce qui n'était pas mon cas...

J'arrivai donc la dernière dans la cuisine, sous le regard de trois paires d'yeux qui me scrutaient d'un drôle d'air.

Maman me lança : "Tu aurais pu te mettre en pyjama, Christine".
Mais elle ne l'avait pas demandé et je m'étais bien gardée d'en prendre l'initiative, n'aimant guère être en tenue de nuit pour dîner, trouvant que cela renvoyait une image infantile.

Les petites portaient leur chemise de nuit et robe de chambre, et cela ne me déplaisait pas d'avoir une image de grande en ces circonstances. L'image se trouva toutefois très vite écornée par une paire d'allusions maternelles au cours du repas, qui rappelèrent que Maman n'en avait pas fini avec moi.

Dès son ramequin de crème caramel maison avalé, Diane fut autorisée à sortir de table, Aline étant réquisitionnée pour aider Maman à ranger la cuisine. J'achevai mon dessert plus lentement, puis je fus envoyée dans ma chambre...

Au bas de l'escalier, j'esquissai un : "Euh, dis, M'man..." qui se voulait comme une supplique tardive, mais dont les mots étaient bloqués dans ma gorge.

Maman coupa net : "Allez, Christine, ce n'est pas le moment de discuter. Tu sais très bien ce que je t'ai promis... Monte te mettre en pyjama et attends-moi" !




 
Le regard de Maman dans mon dos, alors que je montais les escaliers en disait long sur sa motivation. Mes tentatives d'amadouage resteraient vaines, j'en avais conscience...

En passant devant la chambre des petites, la mine ouvertement réjouie de Diane me donna envie d'aller lui redonner des coups de pied, mais je me retins, sachant que j'étais déjà en bien fâcheuse posture...



J'ai baissé les yeux et suis rentrée dans ma chambre, la refermant derrière moi, et m'asseyant sur le rebord de mon lit, hagarde, désemparée, au bord des larmes. J'avais envie de me sauver au bout du monde, mais qu'aurais-je fait toute seule ? Je comprenais qu'il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre le bon vouloir maternel, que d'attendre ce qui "m'avait été promis", comme elle venait de le rappeler au vu et au su de toute la maisonnée, donc de "préparer mes fesses".

Et, au lieu de me dire que cela faisait un moment que j'y avais échappé, que tôt ou tard cela devait bien arriver, au lieu de dédramatiser dans ma tête, au contraire, le délai de presque trois semaines depuis ma dernière déculottée semblait décupler ma peur, rendre ce qui n'était "qu'une fessée de plus", en "la" fessée, la Fessée avec un F majuscule, parce que la fessée imminente fait forcément peur, donne comme une sorte de trac de débutante... 

Je suis restée ainsi un bon moment, me refusant à bouger, à me "préparer"...

La remontée d'Aline dans la chambre des petites, les bruits de fermeture des volets du bas, me sortirent de ma torpeur, et je me décidai à me mettre en tenue de nuit, en essayant de focaliser sur le fait que je dormirais ainsi, et en chassant de ma tête que ce serait auparavant ma "tenue de fessée", si j'ose dire...



Pas facile en tout cas de quitter des vêtements bien protecteurs pour d'autres plus vulnérables, et de sentir un instant l'air frais sur une lune encore blanche, mais qui frissonne à l'avance de ses futurs tourments.

En montant coucher mes soeurs, Maman avait ouvert la porte de ma chambre, passant la tête et vérifiant : "Ca y est. Tu es prête, Christine ?" qui résonnait comme "Es-tu prête pour recevoir la fessée?" Et non pas "prête pour dormir" bien sûr...

Le bonsoir aux petites suivit ses rituels habituels, toujours accompagné de petits dialogues avec chaque enfant et d'un gros câlin final. Il me sembla presque plus rapide qu'un autre soir, mais dans mon cas, il agissait comme un compte à rebours....

Maman l'acheva par un "Plus un bruit, je ne veux rien entendre", dont je savais qu'il serait évidemment respecté. A peine, entendis-je un début de chuchotement et comme un rire étouffé (mes soeurettes devaient évoquer mon cas...), quand Maman redescendit un instant, mais dès que son pas remonta l'escalier, le silence se fit total. Aline et Diane devaient sûrement passer en mode "écoute amplifiée"...

Par réflexe, en entendant Maman arriver, je m'étais mise près de la fenêtre, soit le plus loin de la porte, qu'elle franchit et ne referma qu'à peine à moitié derrière elle...

"Alors, Mademoiselle l'écervelée à qui on ne peut même pas demander de garder un oeil sur sa soeur plus de cinq minutes, et qui en plus fait ses petits coups en douce, en mentant publiquement à sa Maman, viens donc voir ici que je t'apprenne les bonnes manières". En prononçant ces mots à voix suffisamment audible pour que la chambre voisine en profite, Maman s'était assise sur le lit et me désignait ses genoux...



"Maman, non, s'il te plait, je te demande pardon, mais non, pas la fessée, non..."  Ma supplique était prononcée à mi-voix, consciente que la porte ouverte m'imposait d'être discrète, et surtout ne sachant pas que dire, tant je savais ma cause perdue...


"Oh, si, tu vas l'avoir la fessée, et pas plus tard que tout de suite... VIENS ICI..." La voix de Maman se faisait de plus en plus forte, et je m'approchai comme pour la faire taire. Presque vite pour une fois, et elle en profita pour me basculer immédiatement en travers de ses genoux...

La chemise de nuit était remontée sur mon dos pendant que je plongeais en position. Restait seuelemnt ma culotte bien couvrante, sur laquelle Maman asséna d'entrée quelques claques en me demandant d'arrêter de gigoter... Puis, elle stoppa sa main pour attraper l'élastique de ce dernier rempart.



Je tentai d'interposer ma main, essayant de m'accrocher, de l'empêcher de descendre...
"Lâche ta culotte, Christine. Je ne plaisante pas. Tu mérites une bonne déculottée, ma fille, et plus tu m'en empêches et plus ça va aller mal pour tes fesses, tu peux me croire..." Tout ce que j'avais gagné en faisant ce geste protecteur, c'était bien d'énerver davantage Maman, et en plus de lui faire dire à haute voix, qu'elle était en train de baisser ma culotte, et d'ajouter ce détail dans l'imagination débordante de mes soeurettes aux aguets...


Je rendis les armes et Maman dégagea ma lune largement, arrêtant la culotte au dessus de mes genoux, et je la sentais entravant les jambes quand par moment, la douleur montant, je me remettais à gigoter sous l'averse maternelle...

"Ah, je vais t'apprendre à faire des coups en douce... Heureusement que la boulangère t'a vue... En tout cas, je vais t'enlever l'envie de recommencer... Tiens, tiens, et tiens..." La fessée tombait alternant les cycles rapides et ceux plus méthodiques. Assurément Maman s'appliquait à fesser d'importance son ainée...




Après cette période de calme plat sur mon bas du dos, le retour aux dures réalités n'en était que plus mortifiant, que plus honteux, que plus douloureux... Je retrouvais des sensations qui n'avaient pas arrêté de peupler mes cauchemars et mes peurs.

"Tiens, tiens, tiens, tu l'auras bien cherchée cette volée, ma fille. Cela fait quelques jours qu'elle te pendait au dessus des fesses. Voilà, Mademoiselle est servie et bien servie, et tu n'as pas intérêt à recommencer, parce que, moi, je te promets que tu n'es pas au bout de tes peines, Christine... Puisqu'il n'y a que cela qui te fasse comprendre certaines choses, eh bien, je continuerai à te les faire comprendre ainsi... Tiens, tiens, tiens, par une bonne fessée chaque fois qu'il le faudra, une bonne déculottée, ma fille... Et ce n'est pas moi qui céderai la première... Alors, tiens, tiens et tiens... je te conseillerais de retenir la leçon et de t'assagir, Christine... Sinon, j'en connais une qui s'endormira souvent avec les fesses bien rouges... Comme ce soir, ma fille, comme ce soir... Et, tiens, tiens, tiens..." Le final de cette dégelée maison fut accompagné de ce sermon aux allures de promesses de fessées à venir, et me laissa sans force, vaincue, épuisée, la lune écarlate et brulante...





"Remonte ta culotte, et mets-toi au lit", lança Maman, à voix forte, comme s'il y avait encore quelqu'un qui doutait de ma déculottée.
Le bonsoir fut sommaire et Maman me laissa pleurnichante dans le noir, au terme d'une tannée que, somme toute, j'avais, je le reconnais, plutôt méritée...

A SUIVRE

samedi 15 septembre 2012

Chronique d'un redoublement : 46. Un retour où l'imagination travaille...

SUITE 45

J'étais tombée de haut... Deux incidents consécutifs dans une même sortie au parc avaient transformé mon statut d'épargnée, de grande presque à l'abri de telles déconvenues, en destinataire désignée de la prochaine fessée...

Et je marchais en tête de notre petite troupe, consciente que trois paires d'yeux suivaient ma silhouette, sachant ce qui m'attendait, l'imaginant peut-être déjà...



Je rentrais à la maison, comme l'on se rend à la Poste chercher un recommandé, mais sans surprise possible... Le "colis" n'était pas un paquet-cadeau de La Redoute, et c'était son contenant que je "redoutais", et qui avait été énoncé clairement à la vendeuse de la boulangerie...

Aline était assez silencieuse, certainement ravie que la pression qui s'exerçait ces derniers temps surtout à son encontre, change de cible. Elle n'était pas trop rassurée sur la qualité de ses devoirs que Maman allait contrôler, mais le fait que la grande soeur était promise à une déculottée, réduisait les risques qu'elle ne s'occupe aussi d'elle de la même manière...

Diane, en revanche, jubilait, et affichait un sourire béat. Elle avait eu chaud, puisque le commencement de mes soucis venait du fait qu'elle avait échappé à ma (supposée) surveillance. La paire de gifles reçue sur le champ était un moindre mal pour ce qui aurait pu lui valoir une fessée directe...

Elle serait restée au toboggan, rien ne se serait passé, et je la tenais donc, pour ma part, responsable de ce qui allait m'arriver... C'est aussi pour cela que je lui avais cherché querelle, espérant que Maman tomberait dans le piège et la punirait à ma place. L'intervention de la jeune vendeuse surprenant mon manège n'avait rien arrangé, pire, elle avait fait passer la menace de possibles sanctions (au prochain faux-pas), en promesse publique et donc, encore plus irrévocable, de passer à l'acte à mon encontre.

J'avais d'ailleurs doublement perdu en voyant ma manoeuvre déjouée par la vendeuse. Maman était en effet du genre à apprécier que ce soit un tiers qui lui montre qu'elle avait failli se faire abuser par sa propre fille. Et, cela lui prouvait aussi que, derrière ma volonté de jouer les grandes, j'étais encore capable de faire de tels petits coups en douce, de telles gamineries derrière son dos... Sans parler de ce réflexe de mensonge automatique, même si j'avais compris que la vendeuse avait surpris mon entourloupe, et qui m'avait poussée à nier l'évidence, comme si j'accusais la jeune fille de raconter n'importe quoi...

Et, connaissant, hélas, par coeur, les raisonnements maternels et ce qui la fâchait particulièrement, j'avais bien conscience que j'aurais du mal à modifier le cours d'une destinée qui me faisait passer par la case "genoux maternels" !

Diane, en tout cas, pouvait pousser un "ouf" de soulagement, et elle sautillait en fredonnant sur le chemin de la maison, derrière une grande soeur, dont les pas se faisaient moins assurés, voire plus lents et presque tremblants...


Maman, quant à elle, avait cette attitude qui ne présage rien de bon. Elle n'avait pas hésité un seul instant en décrétant devant la vendeuse que je recevrais une bonne fessée, et avait été aussi tranchante pour me faire prendre le chemin le plus rapide pour aller à la maison.

Elle prenait sa posture d'autorité, celle avec laquelle on ne plaisante pas, celle aussi qui se veut sous le signe de l'exemplarité...

Si Aline ou Diane avaient été les destinataires des promesses maternelles, cela se serait certainement réglé dès l'arrivée à la maison. D'autant que la future punie n'aurait pas arrêté de geindre, de chigner à l'avance, Maman s'exécutant alors bien vite pour régler son affaire et "calmer" son petit monde.

La fessée qui pendait au nez de Christine n'avait pas le même effet, et rarement le même déroulement.

Je n'étais pas du genre à supplier dès la porte refermée, ni à risquer d'énerver davantage Maman. J'étais forcément dans une volonté d'apaisement, et dans ma sacro-sainte quête pour gagner du temps...

Et cela convenait certainement à Maman aussi. L'annonce ou parfois même la seule menace de fessée à mon encontre, avait un effet sur les trois filles. Si Christine allait en prendre une, Aline et Diane savaient qu'il valait mieux ne pas se trouver aussi dans le collimateur, d'autant que "fessée de Christine" n'était pas fessée anodine... Jamais !

Maman pouvait donc "profiter" du calme relatif, comme de ces moments qui précèdent les orages, pour ne pas se précipiter dans le règlement de comptes annoncé.

Elle savait que ses filles allaient filer droit au moins jusqu'au moment fatidique, que personne ne rechignerait à mettre la table, à montrer ses devoirs, à prendre sa douche sans chahut, à ranger ses affaires, etc., etc. Surtout que la moindre remarque se ponctuait vite d'une petite phrase du genre : "Si tu veux une fessée comme celle qu'attend Christine, dis-le moi" ! Une formule qui avait son succès assuré...

Avait-elle conscience que, pour moi, chaque minute de gagnée, était comme une victoire ? Peut-être, mais à l'inverse, je pense qu'elle croyait en les vertus de l'attente, sachant qu'une grande fille intelligente et sensible comme elle me savait être, ne pouvait que mieux réfléchir aux conséquences de ses actes, quand elle patientait et mijotait dans l'attente de l'inéluctable...

Alors, en franchissant le seuil de la maison, je ne fus pas étonnée d'entendre Maman intimer l'ordre à Diane d'aller finir ses devoirs, à Aline de se préparer pour prendre son bain, et à m'envoyer dans ma chambre, pendant qu'elle allait s'occuper de la cuisine, puis d'en finir avec les devoirs et les toilettes des petites. De quoi me donner un délai, et d'évacuer bon nombre de ses tâches, histoire d'avoir sûrement l'esprit plus libre au moment où elle pourrait ainsi s'occuper plus "calmement" de son ainée...

Un calme du point de vue de l'esprit bien sûr, et qui ne changeait en rien, bien au contraire, dans la détermination maternelle, consciente que les jours ayant passé, il était d'autant plus nécessaire de bien remettre les pendules à l'heure, d'une manière claquante et cuisante à souhait !



A SUIVRE

mercredi 5 septembre 2012

Chronique d'un redoublement : 45. Un après-midi suffit pour passer de l'insouciance à l'angoisse anticipatrice...

SUITE 44

L'insouciance rend aveugle. Je n'en oubliais pas pour autant la fessée, qui était toujours en toile de fond de notre éducation. Ayant sans trop me forcer des notes acceptables du fait de mon redoublement, la pression maternelle était davantage sur les épaules d'Aline, pour ne pas dire sur son bas du dos..

Deux autres fois dans la semaine suivante, au moment de contrôler si les leçons étaient bien sues, l'ainée de mes soeurettes se prit une fessée, certes rapide et sur le champ, sans l'angoisse de l'attente, mais qui faisait résonner dans la maison des bruits hélas familiers à mes oreilles...

Dans ma tête, cela éveillait des sentiments partagés. Un soupçon d'inquiétude, car il y avait là une démonstration de la permanence des méthodes maternelles. Même si à l'inverse, la succession de trois épisodes "aliniens" me confortait sur mon petit nuage d'impunité "christinienne", me faisant rêver qu'il dure et dure longtemps.

Pourtant, rien ne me permettait de fonder ce raisonnement sur des faits. Car, si mes fesses étaient à l'abri depuis quelque temps, mes oreilles avaient parfois de quoi trembler.
"Je serais à ta place, je me méfierais, Christine", avait par exemple lancé Maman après une des fessées d'Aline. Ou bien "Si tu cherches les problèmes, tu vas les trouver, ma fille", quand j'avais esquissé une réponse un peu vive à une de ses remarques. Ou encore : "Christine, Christine, ne joue pas avec mes nerfs, tu pourrais le regretter..."

Mais je m'efforçais de ne pas trop prêter attention à des menaces pourtant claires, et qui, en des périodes plus tendues m'auraient fait immédiatement battre le coeur très fort...


Et puis, un après-midi suivant, il y eut cet incident au parc municipal, où Maman m'avait demandé de surveiller Diane pendant qu'elle discutait avec une autre mère de famille, et où soeurette avait trompé ma vigilance (un peu trop nonchalante). Elle s'était cachée derrière un arbre à quelques mètres de là, mais Maman avait eu une frayeur en ne la voyant plus.


Heureusement, Diane était réapparue après trois appels de Maman, et elle avait pris deux bonnes gifles pour nous avoir fait peur. La main levée de façon menaçante, Maman avait commenté en ma direction : "C'est bien la peine que je te demande de surveiller ta soeur, Christine. C'est toi qui mériterais que je m'occupe de tes fesses... Oh, que je n'aie plus rien à te reprocher d'ici ce soir, sinon, ça pourrait barder, je te le dis, ma fille..."

Je m'étais bien gardée de répondre à Maman, qui avait continué dans ce registre en confiant à l'autre mère de famille : "C'est toujours pareil avec Christine. Cela veut jouer les grandes et cela se conduit comme une gamine. Ce n'est pas difficile de garder un oeil sur sa soeur tout de même, mais non, Mademoiselle rêvasse et a la tête ailleurs... Ah, si je ne me retenais pas, j'en connais une qui aurait bientôt du mal à s'asseoir..."

Cette fois, je ne rigolais plus du tout... J'avais le sentiment d'avoir frisé la correctionnelle... Tout en me disant que la chance continuait à me sourire...

J'en voulais toutefois à Diane que je rendais responsable de ce qui aurait pu finir mal pour mon matricule.

Une heure plus tard, nous quittâmes le parc pour rentrer à la maison, non sans passer par le centre-bourg : "On va passer par la boulangerie pour reprendre une baguette, et on fera le crochet par le magasin de vêtements pour voir si ils ont reçu de nouveaux pulls". La perspective me plaisait, car Maman avait prévu de m'en acheter un nouveau, un pull fin pour la "demi-saison" comme elle disait.

Sur le chemin de la boulangerie, Diane et moi, nous nous cherchions des noises. En tentant de nous faire réagir, à base de discrets coups de coude ou de pincements dès que nous étions dans le dos de Maman.

Elle nous demanda de cesser, et j'en profitai pour accuser Diane de m'embêter, sachant qu'elle était déjà dans le collimateur maternel.

Maman parut me croire plus que ma soeur qui protestait maladroitement, et je jubilais intérieurement, quitte à vouloir pousser mon avantage en poursuivant mon discret manège à l'intérieur de la boulangerie...

Je donnai ainsi en douce un petit coup de pied dans les chevilles de Diane pendant que Maman réglait sa baguette. Elle poussa un cri, mais, finaude que je me croyais, je criai aussi : "Aïe, arrête Diane !"
  
Maman n'avait rien vu et se retourna avec le regard noir, mais perplexe... Mon stratagème aurait passé, si il n'y avait pas eu la vendeuse de la boulangerie qui se retenait de pouffer de rire...

Maman remarqua sa réaction et lui demanda ce qui s'était passé. Elle rétorqua : "Ah, c'est une sacrée petite maline votre grande fille. Elle a donné un petit coup à sa soeur et a poussé un cri en même temps. C'est trop drôle. Vous en ferez une bonne comédienne, je crois..."

Je rougis instantanément en disant par réflexe : "Euh, non, non, c'est pas moi".

Maman fronça les sourcils et dit d'un ton très sec : "Tais-toi Christine. Ne rajoute pas des mensonges à tes gamineries... Nous allons régler cela à la maison... Tu peux préparer tes fesses, ma grande..."

La vendeuse s'est trouvée très gênée de la réaction maternelle, ne connaissant pas le contexte récent. Elle tenta de plaider ma cause : "Oh, vous savez, ce sont des chamailleries entre gamines. Ce n'est peut-être pas la peine de leur en tenir rigueur. Moi, elle m'a plutôt faite rire avec son petit coup en douce".


Maman rassura la jeune femme, sans pour autant changer d'intention : "N'ayez crainte, ce n'est pas à cause de vous que je vais me fâcher. Ma fille et moi avons déjà quelques comptes à régler. Je l'avais d'ailleurs bien prévenue, tout à l'heure dans le parc, qu'il ne fallait pas qu'elle cherche les ennuis. Cette fois, ç'en est trop, et ma chère fille réfléchira peut-être à deux fois avant d'embêter sa soeur, une fois que je lui aurai donné la bonne fessée qu'elle mérite..."


Je détournai le regard, n'osant plus croiser celui de la vendeuse qui devait déjà imaginer ce qui m'était promis...

Je savais même que je serais gênée les prochaines fois que je rentrerais dans cette boulangerie...

La vendeuse nous regarda sortir du magasin et lança : "Au revoir les filles. Et bon courage, Madame".

Je marchais devant Maman, les petites suivant à quelques mètres. J'avais le ventre noué et je serrais les poings, bien consciente que les menaces maternelles avaient toutes les chances de se réaliser...



Deux croisements plus loin que la boulangerie, je pris à gauche, pour passer devant la boutique de vêtements, comme prévu.
Maman s'arrêta derrière moi, et lança : "Non, Christine, la maison, ce n'est pas par là".
Je répondis : "On devait passer par le magasin de pulls, non ?"

La réponse ne se fit pas attendre : "On ira un autre jour. Je n'ai pas la tête à faire des achats. Je comprends bien que tu ne sois pas pressée de rentrer... Mais, la journée n'est pas finie, Christine. Il va falloir vérifier les devoirs, préparer le diner, et en plus que nous ayons une petite discussion, ma fille... Tu vois ce que je veux dire... Tu sais bien ce qui t'attend..."


Je n'ai rien répondu. Tête basse, j'ai fait marche arrière et pris la rue de droite, celle qui menait plus directement à la maison.

Après cette accalmie inespérée de près de trois semaines, Christine l'insouciante redevenait Christine l'angoissée... Mes illusions étaient réduites à zéro. Je me doutais bien que seul un miracle aurait pu me sortir de mon mauvais pas...

Au bord des larmes, tentant de cacher mon trouble aux passants que nous croisions, j'avançais sur le chemin de la maison, sachant que chacun de mes pas me rapprochait de ma prochaine fessée...



De quoi ressentir de grands frissons, dès que mon imagination se mettait à gamberger, et à me faire retrouver des souvenirs pas si éloignés que cela... Des souvenirs cuisants...


A SUIVRE